Mémoire de la ligne

La Société française des trains RENARD 

Marc André Dubout

Il ne s'agit pas là de trains sur rails mais de trains sur route, solution au problème de circulation sur n'importe quelle route et qui peut franchir les rampes de toutes sortes. Son atout, c'est de s'affranchir du premier établissement nécessaire à la construction coûteuse de voies ferrées.


La Société française des Trains Renard1 avait son Siège à Paris, 11 rue Lafayette. La société anonyme au capital de 1 750 000 francs est divisée en 1 750 actions de 100 francs chacune.
Il n'est personne à cette époque qui ne connaissent de renommée le Train Renard du nom de son illustre inventeur, le Colonel du Génie Charles Renard.
C'est le premier train qui pût réellement évoluer sur les routes de France sans les détériorer, tout en suivant les courbes et remorquant plusieurs wagons, transportant des poids considérables et tirés par un tracteur de peut de poids.
Ce train sur route évite les énormes dépenses de travaux publics que la construction de lignes de chemin de fer impose à la collectivité. Les routes existent, il suffit de les utiliser, en leur état, sans prérogatives particulières.
Le train sur route donnât la vie aux 550 000 kilomètres de routes qui sillonnent la France dont 38 000 kilomètres de routes nationales, alors que les statistiques officielles donnent un transport par traction animale d'un milliards cinq cents millions de tonnes kilométriques représentant quatre cents millions de Francs de transport par an. 
Le Train Renard résout aujourd'hui le problème des transports sur routes.

Du point de vue technique, la traction sur route utilisée, fût une extension de la force de la vapeur appliquée aux locomotives en tenant compte de l'adhérence et de la résistance à l'avancement des véhicules routiers. Un homme peut déplacer un wagon de 15 tonnes sur une voie ferrée plane, en raison du faible besoin énergétique nécessaire avec le rail. Il n'en n'est pas de même sur une remorque routière de poids identique. Par ailleurs, En vue de ne pas détériorer les routes, le poids des véhicules ne doit pas être trop élevé. La trajectoire des remorques doit être la même pour toutes.
C'est à dire que les roues de chaque remorque doivent suivre exactement les traces de la précédente de manière à respecter au train les sinuosités des routes. Concernant la traction le poids du tracteur (à la différence du chemin de fer) ne doit pas obligatoirement être au moins égal à celui de la somme des véhicules remorqués, ce qui impliquerait de construire des routes plus résistantes (d'où construction des voies ferrées) avec des voies spéciales contituées de rails donnant une direction unique aux voiture entraînées.
Les Trains Renard répondent complètement aujourd'hui, aux deux termes du problème : légèreté du tracteur dont le poids peut être même inférieur, à celui d'un des véhicules et peut circuler sur n'importe quelle route comme une automobile quelconque, tandis que d'autre part tous les véhicules suivent mathématiquement la trajectoire du premier.
Ces remarquables résultats ont été obtenus par l'application de deux principes formulés par le colonel Renard avec le principe de " propulsion continue " et celui " du tournant correct ".

La propulsion continue
 
La propulsion continue consiste à distribuer à chaque voiture la part de la puissance motrice nécessaire pour qu'elle avance isolément. Chaque voiture se propulse ainsi par elle-même et devient son propre moteur, aussi l'adhérence n'est plus du ressort du seul tracteur qui sert d'usine d'énergie au train tout entier, d'où la diminution de son poids.
Les routes se détériorent moins avec ce système qu'elles ne le feraient sous le passage d'un nombre d'automobiles ordinaires à celui des voitures du train.
Cette propulsion singulière a un autre avantage, la possibilité de gravir plus facilement les rampes puisque chaque véhicule est automotrice, de même le freinage s'applique non plus au seul tracteur mais à l'ensemble du train.
Seul l'essieu central est moteur et fixe. Les essieux extrêmes sont radians.

Le tournant correct
Il consiste à forcer les voitures à suivre rigoureusement le même tracé à l'aide d'un timon qui se connecte d'une voiture à l'autre en combinat la géométrie entre les longueurs des éléments de la commande de direction de telle sorte que lorsqu'une voiture décrit une courbe d'un rayon X, la suivante en décrit une de même rayon et ainsi de suite.
Cette propriété permet de parcourir ainsi les routes nationales, départementales et vicinales.

La marche arrière
Les Trains Renard sont parfaitement réversibles, tant pour la motorisation que pour le tracé, ce qui est important en cas d'erreur de route, situation où la marche arrière s'impose.

Les voitures Renard

Elles sont toutes munies de trois essieux2 à suspension " à grande flexion " pour les véhicules marchandises et à suspension compensée pour les voyageurs. Ces suspensions assurent une grande douceur au roulement et une bonne adhérence pour les roues motrices. Chaque essieu est indépendant. Les roues motrices peuvent, si on le souhaite, être montées avec des bandages en acier comme les voitures à marchandises.


 


Les Trains Renard peuvent employer toutes sortes de moteurs, à vapeur à explosion, aux huiles lourdes, etc.
Comme ils roulent sur route, plus besoin d'expropriation, de construction particulière, puisqu'ils utilisent les routes existantes même si des améliorations sont à prévoir, réalisant ainsi des économies d'infrastructures (ponts, tunnels, ouvrages d'art, etc.).
Ainsi toutes, les villes, bourgs, ou villages peuvent être reliés entre eux économiquement et sans difficultés et reliés aux gares de chemin de fer.

Les transports industriels

Les applications qui se dégagent sont désormais nombreuses : dessertes d'usines éloignées des gares du chemin de fer, rapidité des transports, multiplicité des voyages d'où économie considérable puisque la tonne kilométrique de marchandises est au maximum de 9 à 12 centimes, suivant les difficultés des routes et le mode de propulsion (pétrole lampant ou huile de schiste, etc.).
Idem pour les régions agricoles et vinicoles dont les transports sont coûteux. Avec les Train Renard, le prix du transport n'est plus que des deux tiers.
Un industriel du Nord écrit dans une lettre les avantages du Train Renard : " Pendant tout l'hiver dernier, par tous les temps, par n'importe quelles routes, le Train Renard a fonctionné sans incidents ".
Pour les mines, grandes consommatrices de fer, de charbon, isolées des voies ferrées, la traction animale est bien souvent insuffisante pour acheminer l'extraction du minerai qui demande la construction d'une voie étroite jusqu'à un point de correspondance avec le chemin de fer, le Train Renard répondra à ces besoins.
Idem pour les transports en commun et les convois militaires3.

La souplesse du Train Renard se retrouve sous forme d'absence de terrassements et de travaux, plus d'expropriation, abandon immédiat de ligne déficitaire, " il ne laisse rien derrière lui ". plus de subventions qui engagent pendant un période longue ou illimitées. Plus de 86 départements métropolitains, presque la totalité des colonies et protectorats ont fait l'objet de demandes de construction de Trains Renard.

Dans le Département de l'Orne, la Chambre de commerce de Flers avait émis le vœu : " Que le Conseil général étudie la question des Trains Renard, estimant que l'expérience qui vient d'être faite dans le département en traversant tous les arrondissements et circulant aussi bien sur les routes nationales que sur les chemins vicinaux mérite son attention et peut permettre de résoudre le problème plus économiquement et surtout sans engager les finances départementales dans une proportion aussi considérable et pour une durée pour ainsi dire illimitée ".
Aussi le Conseil a accordé une subvention pour une ligne de Train Renard entre Laigle et Canapville longue de 37 kilomètres. Pour une ligne de chemin de fer, le département eut dû dépenser pour le premier établissement des subventions annuelles de près de quatre millions de francs, alors qu'avec le Train Renard, le service pourra être assuré avec un capital de seulement 300 000 francs avec un chiffre de recette à peu près égal. 

L'importance des commandes de l'État, des départements, des entreprises, des particuliers est difficilement mesurable. Cela dit deux lignes : Saint-Malo—Pontorson et Paris—Chennevières-Ormesson, tout à fait dissemblables ont été étudiées.

Les deux lignes étudiées font ressortir 50 % de bénéfice pour la première et 26 % pour le seconde.

Il est à constater que ces deux exploitations, situées dans des régions de la France absolument différentes comme population et genre de trafic, rapportent 17 % de bénéfices au capital de la Société française des Trains Renard, sans parler du trafic marchandises et des subventions.

Au point de vue économique
Partout où il y a des routes quelques soient leur importance et quelles qu'en soient les rampes, le Train Renard est applicable. Donc plus de régions, plus de villes qui ne puissent être mises en relation entre entre elles et avec les chemins de fer ou les voies de navigation. Plus d'industries qui ne puissent être isolées.

Au point de vue financier
On sait maintenant que si le transport par chemins de fer d'Europe coûte en moyenne 100 000 Frs par kilomètre construit et 200 ou 300 000 Frs dans les régions de montagne, l'exploitation par Train Renard ne coûte rien d'autre que la construction du train lui-même.
Par ailleurs, le Train Renard en cas de trafic insuffisant peut à tout moment changer d'itinéraire et chercher le trafic là où il se trouve. Il n'est pas tenu par la fixité de la ligne ce chemin de fer.

Wikipedia
Ces certitudes font que la Société française des Trains Renard monopolisant tous les transports sur routes, en France, dans nos colonies et dans nos pays de protectorat est à l'abri de tout aléa et que l'action de la société constitue un placement pouvant avoir une grosse et rapide plus-value.

 Archives communales de Corbeil-Essonnes
Lettre de présentation du projet de Train Renard, vantant tous les avantages de ce système qui peut se passer de travaux et de terrassement divers et qui, en même temps demande un capital dix fois moins cher et tout en offrant dix fois plus de bénéfice.

Archives communales de Corbeil-Essonnes
Extraits d'appréciations de conseils, généraux, conseils d'arrondissement, municipalités, de divers journaux sur l'exploitation de Train Renard pendant les mois d'août et de septembre 1906.

Archives communales de Corbeil-Essonnes
Lettre adressée à un client potentiel évoquant les succès du Train Renard exploité dans les Vosges sur la route accidentée de Remiremont à Plombière.
Il est mentionné que le public s'est peu à peu familiarisé avec ce nouveau mode de transport, ce qui a entraîné le doublement du trafic en quinze jours.
L'exploitation était de deux trains quotidiens dans chaque sens mais la Société compte doubler le nombre de trains.
Satisfaction complète est donnée à ces deux mois d'expérience.
Mais bien d'autres inconvénients apparurent4.

https://www.image-est.fr/fiche-documentaire-le-train-renard-remiremont-610-1131-2-0.html
déposant
Philippe ANDREUX

Le Train Renard devant la gare de Remiremont

Quelques exemples de Trains Renard


Remiremont (Vosges)


Le Train Renard à Flers dans l'Orne.


Le Train Renard à Annonay (Ardèche)


Ambleteuse, le Train Renard service d'Ambleteuse à la gare de Wimereux


Train Renard dans une rue de Rambervillers

Plusieurs accidents entrainèrent la disparition de la Société dès 1911, les Trains Renard avaient vécu.

 

Notes :
  • 1 Charles Renard (1847-1905), polytechnicien français, ingénieur, aviateur, aérostier, Archives conservées à Meudon.
    Charles Renard déposa un brevet pour son système train sur route en 1903. Son train est à " traction continue ", c'est à dire que tous les véhicules sont moteurs(essieu arrière), le tracteur produit seulement l'énergie. Il est également à " tournant correct ", c'est à dire que chaque véhicule possède des essieux radians et une tringlerie qui fait que les roues de chaque véhicule passent sur les traces du précédent.
    Bien qu'utilisé dans plusieurs départements, le succès n’est pas fulgurant et ne durera pas, très longtemps, alors que des constructeurs comme Berliet, Delahaye, Peugeot, ou Renault se mettent à développer des automobiles et des camions. Ce que Charles Renard n'avait pas anticipé.

    C'est lui qui est à l'origine du hangar Y de Meudon où il met au point le dirigeable  " La France " propulsé par une hélice actionnée par un moteur électrique à pile.  Nous sommes en août 1884. On n'est pas loin du drone qui utilise l'hélice, le moteur électrique et la batterie.

    Wikipedia
    Dessin du brevet du Train Renard déposé en 1903.
    Lorsqu'il n'y avait que deux essieux, le premier était directeur, le second propulseur. L'iconographie ne présente que des véhicules à trois essieux.


    Le Petit Français illustré, 27 février 1904 en parle.


    Le Petit français illustré du 27 février 1904 en fait sa page de couverture.

    2 Tous les véhicules sont à trois roues, facteur d’instabilité garantie.
     

    3 Charles Renard était colonel)

    4 Clive Lamming sur le sujet mentionne des ruptures de freins, accident avec un tramway à Bourges en 1907.
    Il écrit " une fâcheuse persistance d’accidents multiples et récurrents effraient les villageois et font fuir la clientèle possible " et " La liquidation de l’entreprise est prononcée en 1911 "
    Disparition totale en 1914 au début du développement des camions et automobiles.

Sources :

  • Archives communales de Corbeil-Essonnes
  • Chemins de fer régionaux et urbains No 291 () - Article de Michel Harouy

Sites :

 

Si une image de cette page vous paraissait non libre de droits, merci de m'en faire part

Page precedente